Quelle protection contre les aléas en rapport avec le sacré ? Kègnidé, la maman de Tagnibo et de Bossito s’est tournée et retournée dans son lit en bambou toute la nuit.
Doit-elle révéler les circonstances de leur naissance à ses enfants ou non ? Que va-t-il se passer si elle enfreint l’interdiction ? Mourra-t-elle vraiment ? Kègnidé a conscience qu’il ne faut guère défier les dieux et les mânes des ancêtres. On ne badine pas avec cela à Golouhoué. Elle se rappelle encore, comme si c’était hier, cette convocation par les anciens de sa famille et ce serment qu’ils lui avaient fait faire devant le fétiche de la famille. En aucun cas, elle ne devrait révéler aux enfants qu’elle venait d’accoucher leur vraies origines. Son erreur, sa première erreur, celle de leur avoir donné le nom de leur père biologique lui a été pardonnée. Mais une deuxième faute lui serait à coup sûr fatale – C’est du moins ce que les sages de sa famille lui ont dit tenir des dieux et des ancêtres. Kègnidé a été mise en garde. Et à Golouhoué, on ne badine pas avec les dieux et les mânes des ancêtres. Le droit peut-il venir en aide à Kègnidé ? Le droit peut-il protéger Kègnidé de la menace des dieux ? Quel rapport y a-t-il entre le droit et le sacré ? L’Etat du Bénin est une République indépendante et souveraine. Le président de Bénin prête serment en invoquant Dieu et les mânes de nos ancêtres. L’être humain est sacré. Le droit emprunte lui-même du vocabulaire religieux, c’est-à-dire du vocabulaire issu des croyances et des pratiques relatives au sacré. Est sacré, ce qui est relatif au divin, au surnaturel. Le droit tend à paraître comme au même niveau ou dans la même sphère que le sacré. Dans ces conditions, le droit peut sembler capable d’agir pour ou contre le sacré. Il peut sembler capable de le réguler et de protéger l’individu contre ses assauts. En réalité, c’est bien souvent une protection indirecte qu’il offre à l’individu contre le sacré (A). Il n’offre pas de protection directe (B). Et cela peut se comprendre. A- L’ASSURANCE D’UNE PROTECTION INDIRECTE Les articles 18 et 19 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme prévoit la liberté de pensée et d’expression. Kègnidé a donc le droit de révéler leur histoire à ses enfants et personne ne devrait pouvoir l’en empêcher même si les dieux y sont opposés. Kègnidé est ainsi indirectement protégé contre cette interdiction des dieux et des ancêtres. L’article 505 du code pénal interdit les menaces de mort. Personne n’a donc le droit de menacer de mort Kègnidé même sous le couvert de la menace des dieux. Menacer de mort une personne est une infraction punie de peine d’emprisonnement. Le droit protège contre les dérives sectaires. Au nom de Dieu ou des dieux, il n’est pas permis de faire tout et n’importe quoi. L’on connait l’exemple de la secte à Savalou qui a défrayé la chronique au Bénin, il y a quelques mois. Le droit protège donc contre les personnes qui enfreignent les lois de la République aux motifs de la volonté de Dieu ou des dieux. On a une protection indirecte du droit contre les assauts ou ce qui serait des assauts du sacré. Mais le droit protège-t-il directement contre les possibles nuisances du sacré ? B- L’ILLUSION D’UNE PROTECTION DIRECTE Les articles 457 et 458 notre code pénal qui répriment la sorcellerie et le charlatanisme offrent une illustration parfaite de la tentative de protection directe de l’individu contre le monde invisible ou le sacré. Mais là encore, il s’agit d’une protection contre des pratiques humaines qui induiraient des conséquences issues de l’invisible et non pas d’une protection contre un agissement quelconque, éventuel du sacré. Le droit ne peut cerner les agissements ou les conséquences des agissements de l’invisible, du sacré. Le droit opère dans le monde réel visible et non pas dans le monde invisible. Il ne peut donc protéger dans la sphère de l’invisible, dans cette dimension là. Kègnidé peut s’exprimer et révéler tout ce qui lui a été interdit de révéler. Personne ne peut l’en empêcher sous quelque menace que ce soit. Mais si elle meurt à la suite de ses révélations, le droit ne peut guère sanctionner un fétiche ou un quelconque dieu qui serait à l’origine de sa mort. On peut déduire que la protection directe du droit contre le sacré n’existe pas au Bénin. Comment cela aurait-il été possible ? Le droit est dans un rapport, la plupart du temps, par personne interposée avec le sacré ou le divin, en tout cas dans le système juridique de notre pays qui est un pays laïc. Le droit donne d’ailleurs l’impression de ne pas suffisamment prendre en compte le sacré résultant de nos savoirs endogènes. Mais cela ne doit absolument pas être une raison pour ignorer ou ne pas respecter ce sacré.Les anciens, de bonne foi, savent bien souvent pourquoi telle interdiction ou telle autre, comment et à quel moment la lever. Il faut donc faire attention à ne pas braver le sacré de nos savoirs endogènes. Il faut aussi parfois garder raison pour distinguer le vrai sacré du faux, le bon sacré du méchant sacré. Kègnidé se décidera-t-elle à parler à son fils Tagnibo, au risque de perdre sa vie ? |
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